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titude naturelle. Mandez-moi comme cela vous paroît, et soyez assurée que la différence ou d’aller en Provence sans avoir une maison ici, ou d’en avoir une toute rangée, où votre appartement soit marqué, fait la plus grande force de nos raisons.

Tout ce que vous me mandez de la Marans est divin, et des punitions qu’elle aura dans l’enfer ; mais savez-vous bien que vous irez avec elle ? vous continuerez à la haïr. Songez que vous serez toute l’éternité ensemble ; il n’en faut pas davantage pour vous mettre dans le dessein de faire votre salut. Je me suis avisée bien heureusement de vous donner cette pensée : c’est une inspiration de Dieu. Elle vint l’autre jour chez Mme de la Fayette ; M. de la Rochefoucauld y étoit, et moi aussi. La voilà qui entre sans coiffe : elle venoit d’être coupée, mais coupée en vrai fanfan ; elle étoit poudrée, bouclée ; le premier appareil avoit été levé, il n’y avoit pas un quart d’heure ; elle étoit décontenancée, sentant bien qu’elle alloit être improuvée. Mme de la Fayette lui dit : « Vraiment il faut que vous soyez folle ; mais savez-vous bien, Madame, que vous êtes complétement ridicule ? » M. de la Rochefoucauld : « Ma mère, ha ! par ma foi, mère, nous n’en demeurerons pas là : approchez un peu, ma mère, que je voie si vous êtes comme votre sœur[1] que je viens de voir. » Elle venoit aussi d’être coupée. « Ma foi, ma mère, vous voilà bien. » Vous entendez ces tons-là ; et pour les paroles, elles sont d’après le naturel ; pour moi, je riois sous ma coiffe. Elle se décontenança si fort, qu’elle ne put soutenir cette attaque ; elle remit sa coiffe, et bouda jusqu’à ce que Mme de Schomberg la vint reprendre, car il n’y a

  1. 3. Mlle de Montallais, qui avait été fille d’honneur de Madame Henriette d’Angleterre. Elle fut très-compromise dans l’affaire de la lettre espagnole, et enfermée à Fontevrault en 1662. Voyez la Notice, p. 148, et Walckenaer, tome II, p. 301, 302.