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205. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 23e septembre.

Enfin, ma bonne, nous voilà retombés dans le plus épouvantable temps qu’on puisse imaginer : il y a quatre jours qu’il fait un orage continuel ; toutes nos allées sont noyées, on ne s’y promène plus. Nos maçons, nos charpentiers gardent la chambre ; enfin j’en hais ce pays, et je souhaite à tout moment votre soleil ; peut-être que vous souhaitez ma pluie ; nous faisons bien toutes deux.

Nous avons à Vitré ce pauvre petit abbé de Montigny, évêque de Léon, qui part aujourd’hui, comme je crois, pour voir un pays beaucoup plus beau que ceux-ci. Enfin, après avoir été ballotté cinq ou six fois de la mort à la vie, les redoublements opiniâtres de la fièvre ont décidé en faveur de la mort. Il ne s’en soucie guère, car son cerveau est embarrassé ; mais son frère l’avocat général[1] s’en soucie beaucoup, et pleure très-souvent avec moi ; car je le vais voir, et suis son unique consolation : c’est en ces occasions où il faut faire des merveilles. Du reste, je suis dans ma chambre à lire, sans oser mettre le nez dehors. Mon cœur est content, parce que je crois que vous vous portez bien. Cela me fait souffrir les tempêtes, car ce sont des tempêtes continuelles. Sans ce repos que me donne mon cœur, je ne souffrirois pas impunément l’affront que me fait le mois de septembre ; c’est une trahison, dans la saison où nous sommes, au milieu de vingt ouvriers : je ferois un beau bruit, Quos ego[2] !

  1. Lettre 205 (revue sur une ancienne copie). — 1. Au parlement de Rennes.
  2. 2. Virgile, Énéide, liv. Ier, v. 135. Ces deux mots d’une menace que Neptune n’achève pas font disparaître les vents qui, sans son ordre, ont excité une tempête.