Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 2.djvu/499

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 493 —

1672


veille, ce jour, ce lendemain, ce temps de votre départ de l’année passée[1], m’a tellement touché le cœur et l’esprit, que j’en avois sans cesse les larmes aux yeux malgré moi ; car rien n’est moins utile que les douleurs d’une chose sur laquelle on n’a plus aucun pouvoir : on se tue, on se dévore hors de propos[2], aussi bien qu’à faire des souhaits et des châteaux en Espagne : vous êtes trop sage pour les aimer ; et moi je les aime[3].

Je vous envoie quatre rames de papier : vous savez à quelle condition. J’espère en revoir la plus grande partie entre ci et Pâques. Après cela j’aspirerai à d’autres plaisirs. Si vous avez quelque peau d’Espagne ou des gants, mettez-les dans le même trésor. Je fournirai de poudre de calambau[4].

Voilà tout ce que je sais. Adieu, ma bonne, je vous embrasse avec la dernière tendresse. Il me semble que la vie ne m’est point plus chère et plus nécessaire que votre amitié. Que de baisemains j’ai à vous faire ! J’embrasse ce grand politique Grignan. M. de la Rochefoucauld vous mande qu’il a une souris blanche qui est aussi belle que vous : c’est la plus jolie bête qu’on ait jamais vue ; elle est dans une cage. Voilà Mme de Coulanges qui veut que je

  1. 12. Voyez la lettre du 6 février 1671, tome II, p. 46 et 47.
  2. 13. Dans le manuscrit : « fort inutilement. »
  3. 14. Dans l’édition de la Haye (1726), les six lignes qui précèdent (depuis malgré moi) se trouvent au commencement de la lettre, après les mots : « Rien ne peut être comparé aux douleurs de votre départ » (voyez p. 489), et l’on y remarque des additions et des variantes dignes d’être notées : « La fontaine étoit ouverte, mon cœur étoit attendri, et dans cette disposition j’ai pleuré. Mais, ma bonne, c’est bien malgré moi, car rien n’est moins utile, etc. »
  4. 15. Ou de « calambour, » bois odorant, appelé aussi, d’après le Complément du Dictionnaire de l’Académie, « calambouc, calambac, calambart, calamba. » — Il est resté de la poudre de bois sur plusieurs des autographes de Mme de Sévigné que possède M. le comte de Guitaut.