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Fiennes[1]. Elle voulut jouer la délaissée, elle parut embarrassée. Le chevalier, avec cette belle physionomie ouverte que j’aime, et que vous n’aimez point, la voulut tirer de toutes sortes d’embarras, et lui dit : « Mademoiselle, qu’avez-vous ? pourquoi êtes-vous triste ? qu’y a-t-il d’extraordinaire à tout ce qui nous est arrivé ? Nous nous sommes aimés, nous ne nous aimons plus : la fidélité n’est pas une vertu des gens de notre âge ; il vaut bien mieux que nous oubliions le passé, et que nous reprenions le ton et les manières ordinaires. Voilà un joli petit chien ; qui vous l’a donné ? » Et voilà le dénouement de cette belle passion.

Que lisez-vous, ma bonne ? Pour moi je lis la découverte des Indes par Christophe Colomb[2], qui me divertit au dernier point ; mais votre fille me réjouit[3] encore plus : je l’aime, et je ne vois pas bien que je puisse m’en dédire[4] ; elle caresse votre portrait, et le flatte d’une façon si plaisante, qu’il faut vitement la baiser. J’admire que vous vous coiffiez, dès ce temps-là, à la mode de celui-ci : vos doigts vouloient tout relever, tout boucler ; enfin c’étoit une prophétie. Adieu, ma très-chère enfant, je ne croirai jamais qu’on puisse aimer plus passionnément que je vous aime.

  1. 11. Voyez la lettre précédente, tome II, p. 547.
  2. 12. Voyez dans la Bibliothèque américaine de M. H. Ternaux la liste des ouvrages relatifs à l’Amérique qui avaient paru depuis sa découverte jusqu’à la date de cette lettre. — Peut-être s’agit-il ici de l’Histoire de l’amiral D. Christoval Colomb, composée en espagnol par Ferdinand Colomb, fils du grand navigateur, et traduite en italien par Alfonse de Ulloa. Cette traduction fut imprimée deux fois à Venise, en 1571 et en 1674.
  3. 13. Dans l’édition de la Haye : « Me revient. »
  4. 14. C’est le texte de la Haye (1726). Dans la première des éditions de Perrin (1734), on lit : « m’en défaire ; » dans la seconde (1754) : « m’en défendre. »