Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 3.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 114 —

1672


n’osa aller plus loin. « Madame, il se porte bien de sa blessure. — Il y a eu un combat. Et mon fils ? » On ne lui répondit rien. « Ah ! Mademoiselle, mon fils, mon cher enfant, répondez-moi, est-il mort ? — Madame, je n’ai point de paroles pour vous répondre. — Ah ! mon cher fils ! est-il mort sur-le-champ ? N’a-t-il pas eu un seul moment ? Ah mon Dieu ! quel sacrifice ! » Et là-dessus elle tombe sur son lit, et tout ce que la plus vive douleur put faire, et par des convulsions, et par des évanouissements, et par un silence mortel, et par des cris étouffés, et par des larmes amères, et par des élans vers le ciel, et par des plaintes tendres et pitoyables, elle a tout éprouvé. Elle voit certaines gens[1]. Elle prend des bouillons, parce que Dieu le veut. Elle n’a aucun repos. Sa santé, déjà très-mauvaise, est visiblement altérée. Pour moi, je lui souhaite la mort, ne comprenant pas qu’elle puisse vivre après une telle perte.

Il y a un homme[2] dans le monde qui n’est guère moins touché ; j’ai dans la tête que s’ils s’étoient rencontrés tous deux dans ces premiers moments, et qu’il n’y eût eu que le chat avec eux, je crois que tous les autres sentiments[3] auroient fait place à des cris et à des larmes,

  1. 5. « MM. Arnauld et Nicole, » dit une note des éditions de 1726.
  2. 6. Cet homme étoit M. le duc de la Rochefoucauld, qui avoit aimé longtemps Mme de Longueville, et à qui le jeune Longueville ressembloit infiniment. (Note de l’édition de 1725.) — Voyez la lettre suivante, p. 121.
  3. 7. C’est là le texte de l’édition de 1725 et de celle de Rouen (1726). Dans celle de la Haye (1726) et dans la première de Perrin (1734) on lit : qu’il n’y eut eu personne, au lieu de : qu’il n’y eût eu que le chat ; dans la seconde de Perrin (1754) le membre de phrase où se trouvent ces mots est omis. Pour rendre la construction grammaticalement plus régulière, le chevalier a supprimé je crois, dans ses deux éditions. En outre, en 1734, il a effacé les mots : c’est une vision, qui manquent également dans l’édition de la Haye, et il les a rétablis en 1754.