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et la place ne sera pas tenable. Il faudra faire un chemin dans les terres, et ne vous point hasarder ; le danger n’est pas dans l’imagination. Voilà ce que mon amitié et ma prévoyance me forcent de vous dire ; vous vous en moquerez, si vous voulez ; mais je crois que M. de Grignan ne s’en moquera pas. Vous me direz après cela : « Voilà qui est bien ; il n’est plus question que de faire la paix, et que nous allions à Paris. » Il est vrai ; mais si la guerre se déclare contre l’Espagne, comme c’est une affaire qui traînera, et qui ne donnera pas sitôt des affaires aux gouverneurs, je crois qu’en bonne politique M. de Grignan prendra le parti de venir à la cour plus tôt que plus tard. J’attends ce soir de vos nouvelles ; j’achèverai cette lettre après les avoir reçues.

Mardi au soir.

Je n’ai pas eu la force de recevoir votre lettre sans pleurer de tout mon cœur. Je vous vois dans Aix, accablée de tristesse, vous achevant de consumer le corps et l’esprit. Cette pensée me tue : il me semble que vous m’échappez, que vous me disparoissez, et que je vous perds pour toujours. Je comprends l’ennui que vous donne mon départ : vous étiez accoutumée à me voir tourner autour de vous. Il est fâcheux de revoir les mêmes lieux : il est vrai que je ne vous ai point vue sur tous ces chemins-ci ; mais quand j’y ai passé, j’étois comblée de joie, dans l’espérance de vous voir et de vous embrasser, et en retournant sur mes pas, j’ai une tristesse mortelle dans le cœur, et je regarde avec envie les sentiments que j’avois en ce temps-là : ceux qui les suivent sont bien différents. J’avois toujours espéré de vous ramener ; vous savez par quelles raisons et par quels tons vous m’avez coupé court là-dessus. Il a fallu que tout ait cédé à la force de votre raisonnement, et prendre le parti