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m’a brouillé la tête, en ne voulant pas que je mène ma petite-enfant ; car, après tout, les enfants de la nourrice ne me plaisent point auprès d’elle dans son village, et jamais cette femme n’aura le courage de passer ici l’été sans y mourir d’ennui[1]. Mais ma bonne, il est question de partir. Un jour nous disons, l’abbé et moi : « Allons-nous-en, ma tante ira jusqu’à l’automne ; » voilà qui est résolu. Le jour d’après nous la trouvons si extrêmement bas, que nous disons : « Il ne faut pas songer à partir, ce seroit une barbarie, la lune de mai l’emportera ; » et ainsi nous passons d’un jour à l’autre, avec le désespoir dans le cœur. Vous comprenez bien cet état, il est cruel ; et ce qui me fait souhaiter d’être en Provence, ce seroit afin d’être sincèrement affligée de la perte d’une personne qui m’a toujours été si chère ; et je sens que si je suis ici, la liberté que sa mort me donnera m’ôtera une partie de ma tendresse et de mon bon naturel. N’admirez-vous point la bizarre disposition des choses de ce monde, et de quelle manière elles viennent croiser notre chemin ? Ce qu’il y a de certain, c’est que, de quelque manière que ce puisse être, nous irons cette année à Grignan. Laissez-nous démêler toute cette triste aventure, et soyez assurée que l’abbé et moi nous sommes plus près d’offenser la bienséance, en partant trop tôt, que l’amitié que nous avons pour vous, en demeurant sans nécessité.

Voilà un billet de l’abbé Arnauld, qui vous apprendra les nouvelles. Son frère[2], en partant, le pria de me faire part de celles qu’il manderoit. La première page est un ravaudage de rien pour choisir un jour, afin de dîner chez

  1. 5. Dans l’édition de 1734 : « Les enfants de la nourrice ne me plaisent point auprès d’elle, et je connois dans son visage que jamais elle ne passera l’été ici, sans en mourir d’ennui. » — Le texte de 1754 est conforme, à peu de chose près, à celui de notre manuscrit.
  2. 6. Pompone. Le Roi l’avait emmené ainsi que Louvois.