Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 4.djvu/16

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les jours se passent, et notre pauvre vie est composée de ces jours, et l’on vieillit, et l’on meurt[1]. Je trouve cela bien mauvais. Je trouve la vie trop courte : à peine avons-nous passé la jeunesse, que nous nous trouvons dans la vieillesse. Je voudrois qu’on eût cent ans d’assurés, et le reste dans l’incertitude. Ne le voulez-vous pas aussi[2] ? Mais comment pourrions-nous faire ? Ma nièce sera de mon avis[3], selon le bonheur ou le malheur qu’elle trouvera dans son mariage. Elle nous en dira des nouvelles, ou elle ne nous en dira pas. Quoi qu’il en soit, je sais bien qu’il n’y a point de douceur, de commodité, ni d’agrément[4] que je ne lui souhaite dans ce changement de condition. J’en parle quelquefois avec ma nièce la religieuse[5] ; je la trouve très-agréable et d’une sorte d’esprit qui fait fort bien souvenir de vous. Selon moi, je ne puis la louer davantage.

Au reste, vous êtes un très-bon almanach : vous avez prévu en homme du métier tout ce qui est arrivé du côté de l’Allemagne ; mais vous n’avez pas vu la mort de M. de Turenne, ni ce coup de canon tiré au hasard, qui le prend seul entre dix ou douze[6]. Pour moi, qui vois en tout la Providence, je vois ce canon chargé de toute éternité[7] ; je vois que tout y conduit M. de Turenne, et je n’y trouve rien de funeste pour lui, en supposant sa conscience en bon état. Que lui faut-il ? Il meurt au milieu de sa gloire. Sa réputation ne pouvoit plus aug-

  1. « Et l’on vieillit, et l’on trouve la mort. » (Manuscrit de l’Institut.)
  2. Tel est le texte de nos deux manuscrits ni l’un ni l’autre n’a voulez-vous.
  3. « Ma nièce de Bussy sera de notre avis. » (Manuscr. de l’Institut.)
  4. « Quoi qu’il en soit, il n’y a point de douceurs, de commodités ni d’agréments. » (Ibidem.)
  5. « Avec sa sœur de Sainte-Marie, » (Ibidem.)
  6. « Entre douze ou quinze. » (Ibidem.)
  7. Voyez tome III, p. 535.