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1675
474. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ ET DE CHARLES
DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.
Aux Rochers, mercredi 4e décembre.
DE MADAME DE SÉVIGNÉ.

Voici le jour que j’écris sur la pointe d’une aiguille ; car je ne reçois plus vos lettres, ma fille, que deux à la fois[1] le vendredi. Comme je venois de me promener avant-hier, je trouvai au bout du mail frater, qui se mit à deux genoux aussitôt qu’il m’aperçut, se sentant si coupable d’avoir été trois semaines sous terre, à chanter matines, qu’il ne croyoit pas me pouvoir aborder d’une autre façon. J’avois bien résolu de le gronder, et je ne sus jamais où trouver de la colère ; je fus fort aise de le voir ; vous savez comme il est divertissant. Il m’embrassa mille fois, et me donna les plus méchantes raisons du monde, que je pris pour bonnes. Nous causons fort, nous lisons, nous nous promenons, et nous achèverons ainsi l’année, c’est-à-dire, le reste. Nous avons résolu d’offrir notre chien de guidon, et de souffrir encore quelque supplément, selon que le Roi l’ordonnera. Si le chevalier de Lauzun veut vendre sa charge entière, nous le laisserons trouver des marchands de son côté, comme nous en chercherons du nôtre, et nous verrons alors à nous accommoder.

Nous sommes toujours dans la tristesse des troupes qui nous arrivent de tous côtés avec M. de Pommereuil[2].

  1. LETTRE 474 (revue en partie sur une ancienne copie). — Dans l’édition de 1734, la phrase est autrement coupée : « car je ne reçois plus vos lettres.… que deux à la fois. Vendredi, comme je venois, etc. » Un peu plus loin, avant-hier manque.
  2. Auguste-Robert de Pommereuil ou Pomereu, chevalier, seigneur de la Bretèche, Saint-Nom et Valmartin, baron de Ryceis, maître des requêtes, président au grand conseil et en la chambre de justice, prévôt des marchands de la ville de Paris, conseiller d’État et au conseil royal. Il fut envoyé en 1689 intendant en Bretagne, où il n’y en avait jamais eu. « Pomereu étoit un aigle qui brilloit d’esprit et de capacité, qui avoit eu de grandes et importantes commissions, et qui avoit recueilli partout une grande réputation, mais il étoit fantasque, qui avoit même quelques temps courts dans l’année où sa téte n’étoit pas bien libre et où on ne le voyoit point. D’ailleurs c’étoit un homme ferme, transcendant, qui avoit et qui méritoit des amis. Il l’étoit fort de mon père et il étoit demeuré le mien…. C’est le premier intendant qu’on ait hasardé d’envoyer en Bretagne et qui trouva moyen d’y apprivoiser la province. » (Saint-Simon, tome II, p. 299 et suivante, et tome IV, p. 21.) Il mourut en 1702. — Voyez les lettres du 11 et du 18 décembre suivants, p. 270 et 284.