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tous deux à la cour d’Auguste ; il traite son prisonnier comme son propre frère ; il le loue de son extrême valeur ; mais il me semble que le prisonnier soupire ; je ne sais s’il n’est point amoureux : je crois qu’on lui permettra de revenir sur sa parole ; je ne vois pas bien où la princesse l’attend, et voilà toute l’histoire[1].

Quand je vous mande de certaines choses de Versailles, je les apprends ou de Monsieur le Premier, que je vois assez souvent, et chez lui, et chez moi, et chez Mmes de Lavardin ou de la Fayette, ou de Monsieur le grand maître, ou du fils de M. de la Rochefoucauld : ces auteurs-là ne sont pas méchants ; ils ne veulent jamais être cités pour les moindres bagatelles. Il y a des gens bavards dont je ne prends jamais les nouvelles. Voulez-vous savoir ce que les valets de chambre ont écrit[2] ? Vous savez comme en un certain lieu on aime les lettres ridicules. L’un fait un inventaire de ce qu’il a perdu son étui, sa tasse, son buffle, son caudebec[3]. « C’étoit, dit-il, un désordre du diable[4] ; ma foi, si j’avois été général, cela ne seroit pas arrivé. » Un autre dit : « Nous avons été joliment téméraires : nous n’étions que sept mille hommes, nous en avons attaqué vingt-six[5] ; aussi faut voir comme nous

  1. C’est sans doute une allusion à un épisode d’un des derniers volumes de la Cléopatre (Xe partie, livre IV). Volusius, perfidement attaqué, non loin d’Alexandrie, et près de succomber sous le nombre, est tout à coup sauvé par Coriolan, prince de Mauritanie, qu’il avait connu à Rome. Si c’est là l’endroit, comme cela paraît bien vraisemblable, que Mme de Sévigné a en vue, elle a un peu modifié les circonstances du récit pour le bien faire cadrer avec l’aventure de son cousin de la Trousse.
  2. C’est après la malheureuse affaire de M. le maréchal de Créquy à Trèves. (Note des éditions de 1726.)
  3. « Sorte de chapeaux de laine qui se font à Caudebec en Normandie. » (Note de Boileau à sa VIe épitre.)
  4. Dans le manuscrit « un désordre de diable. »
  5. Dans l’édition de Rouen (1726) et dans les deux éditions de Perrin : « vingt-six mille. » Le mot mille n’est ni dans le manuscrit ni dans l’édition de la Haye (1726).