Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 5.djvu/220

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1677 de moi la première) : enfin nous vous assommons, mais c’est avec toute l’honnêteté et la politesse de l’homme de la comédie, qui donne des coups de bâton avec un visage gracieux, en demandant pardon, et disant avec une grande révérence : « Monsieur, vous le voulez donc ; j’en suis au désespoir[1]. » Cette application est juste et trop aisée à faire : je n’en dirai pas davantage.

Mercredi au soir, après vous avoir écrit, je fus priée, avec toute sorte d’amitiés, d’aller souper chez Gourville avec Mmes  de Schomberg, de Frontenac, de Coulanges, Monsieur le Duc, MM. de la Rochefoucauld, Barrillon, Briole, Coulanges, Sévigné. Le maître du logis nous reçut dans un lieu nouvellement rebâti, le jardin de plain-pied de l’hôtel de Condé[2], des jets d’eau, des cabinets, des allées en terrasse, six hautbois dans un coin, six violons dans un autre, des flùtes douces un peu plus près, un souper enchanté, une basse de viole admirable, une lune qui fut témoin de tout. Si vous ne haïssiez point à vous divertir, vous regretteriez de n’avoir point été avec nous. Il est vrai que le même inconvénient du jour que vous y étiez arriva et arrivera toujours ; c’est-à-dire qu’on assemble une très-bonne compagnie pour se taire, et à condition de ne pas dire un mot : Barrillon, Sévigné et moi, nous en rîmes, et nous pensâmes à vous.

  1. Lettre 625. — 1. «  ALCIDAS. Au moins, Monsieur, vous n’avez pas lieu de vous plaindre ; vous voyez que je fais les choses dans l’ordre. Vous nous manquez de parole, je me veux battre contre vous ; vous refusez de vous battre, je vous donne des coups de bâton : tout cela est dans les formes, et vous êtes trop honnête homme pour ne pas approuver mon procédé… J’ai tous les regrets du monde d’être obligé d’en user ainsi avec vous. » (Molière, le Mariage forcé, scène XVI.)
  2. 2. Cet hôtel existait à la place où l’on a construit le théâtre de l’Odéon et les rues adjacentes, dont l’une conserve le nom de Condé. (Note de l’édition de 1818.)