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1679

757. DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 1er décembre.

VRAIMENT oui, ma fille, je vous la donne cette jolie écritoire, et ç’a toujours été mon intention. J’attendois que vous l’eussiez approuvée pour vous déclarer ce présent. L’abbé jure qu’il l’a pensé ainsi, et que s’il l’avoit mis par mégarde sur un petit mémoire de votre dépense qu’il vous a envoyé, vous y fassiez promptement une grande ligne qui l’efface entièrement[1]. Ce sera donc l’écritoire de ma mère : elle est assez jolie pour me donner l’ambition que vous la nommiez ainsi, et d’autant plus que vous m’assurez que vous n’en faites point un poignard[2].

Je n’aime point, ma très-chère, que vous soyez fâchée de m’avoir mandé l’état de votre fils quand il étoit mal ; et le moyen de cacher une telle chose ? Je haïrois cette dissimulation extrême, et la plume me tomberoit des mains ; et le moyen de parler d’autre chose que de ce qui tient au cœur à ce point-là ? Pour moi, j’en serois incapable, et j’honore tant la communication des sentiments à ceux que l’on aime, que je ne penserois jamais à épargner une inquiétude, au préjudice de la consolation que je trouverois à faire part de ma peine à quelqu’un que j’aimerois[3]. Voilà mes manières, voilà l’hu-

  1. LETTRE 757. — 1. « En sorte que s’il l’avoit mis par mégarde sur le petit mémoire de dépense qu’il vous a envoyé, il vous prie de l’effacer entièrement. » (Édition de 1754.)
  2. 2. C’est-à-dire que Mme de Grignan promettait de ménager sa santé, en écrivant moins qu’elle ne faisait ordinairement. Voyez la lettre du 29 décembre suivant.
  3. 3. « Et j’honore tant la communication des sentiments, que je ne penserois jamais à épargner une inquiétude à quelqu’un que j’aime-