Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 6.djvu/227

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1680 souper[1] vint ; on dit que Madame la Comtesse soupoit à la ville[2] : tout le monde s’en alla, persuadé de quelque chose d’extraordinaire. Cependant on fit beaucoup de paquets, on prit de l’argent, des pierreries ; on fit prendre des justaucorps gris aux laquais et cochers[3] ; on fit mettre huit chevaux au carrosse. Elle fit mettre la marquise d’Alluye au fond auprès d’elle[4], qu’on dit qui ne vouloit pas aller ; deux femmes de chambre au devant[5]. Elle dit à ses gens qu’ils ne se missent point en peine d’elle, qu’elle étoit innocente ; mais que ces coquines de femmes[6] avoient pris plaisir à la nommer ; elle pleura ;


    fut encore plus mêlé que sa femme dans l’affaire de la Voisin ; ils furent longtemps exilés, et le mari, qui mourut sans enfants en 1690, n’eut jamais permission de voir le Roi, quoique revenu à Paris. Sa femme, amie intime de la comtesse de Soissons et des duchesses de Bouillon et Mazarin, passa sa vie dans les intrigues de galanterie, et quand son âge l’en exclut pour elle-même, dans celles d’autrui… Cétoit une femme qui n’étoit point méchante, qui n’avoit d’intrigues que de galanterie, mais qui les aimoit tant, que jusqu’à sa mort elle étoit le rendez-vous et la confidente des galanteries de Paris, dont tous les matins les intéressés lui rendoient compte. Elle aimoit le monde et le jeu passionnément, avoit peu de bien et le réservoit pour son jeu. Le matin, tout en discourant avec les galants qui lui contoient les nouvelles de la ville, ou les leurs, elle envoyoit chercher une tranche de pâté ou de jambon, quelquefois un peu de salé ou des petits pâtés, et les mangeoit. Le soir, elle alloit souper et jouer où elle pouvoit, rentroit à quatre heures du matin, et a vécu de la sorte grasse et fraîche, sans nulle infirmité, jusqu’à plus de quatre-vingts ans qu’elle mourut d’une assez courte maladie, après une aussi longue vie sans souci, sans contrainte et uniquement de plaisir. D’estime, elle ne s’en étoit jamais mise en peine, sinon d’être sûre et secrète au dernier point ; avec cela, tout le monde l’aimoit, mais il n’alloit guère de femmes chez elle. »

  1. 35. « L’heure du souper. » (Éditions de 1734 et de 1754.)
  2. 36. « En ville. » (Édition de 1754.)
  3. 37. « Aux laquais et aux cochers. » (Ibidem.)
  4. 38. « c Elle fit placer auprès d’elle dans le fond la marquise d Alluye. » (Ibidem.)
  5. 39. « Et deux femmes de chambre sur le devant. » (Ibidem.)
  6. 40. La Voisin et ses associées pour des sorcelleries. (Note de Perrin.)