Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 6.djvu/343

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1680 humeur. Si je joignois mes réflexions aux vôtres, ce seroit peut-être une double tristesse[1] ; mais ce qui me paroîtroit sage et raisonnable, et digne de l’amitié de M. de Grignan, ce seroit de mettre tous ses soins à pouvoir revenir ici au mois d’octobre. Vous n’avez point d’autre lieu pour passer l’hiver. Je ne veux pas vous en dire davantage présentement ; les choses prématurées perdent leur force, et donnent du dégoût.

Il n’est plus question d’aucun grand voyage ; on ne parle que de Fontainebleau[2]. Vous aurez cette année très-assurément M. de Vendôme. Pour moi, je cours en Bretagne avec un chagrin insurmontable ; j’y vais, et pour y aller, et pour y être un peu, et pour y avoir été, et qu’il n’en soit plus question[3]. Après la perte de la santé, que je mets toujours avec raison au premier rang, rien n’est si fâcheux que le mécompte et le dérangement des affaires : je m’abandonne donc à cette cruelle raison. Jugez de l’excès de mon inquiétude, vous qui savez avec quelle impatience[4] je souffre le retardement de deux heures des courriers ; vous comprenez bien ce que je vais devenir, avec encore un peu plus de loisir et de solitude, pour donner plus d’étendue à mes craintes ; il faut avaler ce calice, et penser à revenir pour vous embrasser ; car rien ne se fait que dans cette vue ; et me trouvant au-dessus de bien des choses, je me trouve infiniment au-dessous de celle-là. C’est ma destinée ; et

  1. 11. « Vous êtes, en vérité, si stoïcienne et si pleine de réflexions, que je craindrois de joindre les miennes aux vôtres, de peur que ce ne fût une double tristesse. » (Édition de 1754.)
  2. 12. La cour quitta Saint-Germain pour Fontainebleau le 13 mai.
  3. 13. Ce dernier membre de phrase manque dans l’impression de 1754.
  4. 14. « Jugez de l’excès de mon chagrin, vous qui savez avec quelle inquiétude, etc. » (Édition de 1754.)