Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 6.djvu/459

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1680 mets tous les bonnets, coiffes et casaques qui n’étoient point nécessaires ; je vais dans ce mail, dont l’air est comme celui de ma chambre ; je trouve mille coquesigrues[1], des moines blancs et noirs, plusieurs religieuses grises et blanches, du linge jeté par-ci, par-là, des hommes noirs, d’autres ensevelis tout droits contre des arbres[2], de petits hommes cachés, qui ne montroient que la tête, des prêtres qui n’osoient approcher. Après avoir ri de toutes ces figures, et nous être persuadés que voilà ce qui s’appelle des esprits, et que notre imagination en est le théâtre, nous nous en revenons[3] sans nous arrêter, et sans avoir senti la moindre humidité. Ma chère enfant, je vous demande pardon, je crus être obligée[4], à l’exemple des anciens, comme nous disoit ce fou que nous trouvâmes dans le jardin de Livry, de donner cette marque de respect à la lune : je vous assure que je m’en porte fort bien.

Il m’est tombé des nues le plus beau chapelet du monde ; c’est assurément parce que je le dis si bien : la balle au bon joueur. Ce chapelet de calambour[5] est ac-

  1. 21. Dans la première édition de Perrin (1737), l’orthographe est coxigrues. — Voici l’article consacré à ce mot dans le Dictionnaire de Furetière : « Coquesigrue, poisson maritime qu’on dit se donner des clystères avec l’eau de la mer, que les anciens appeloient clyster. Quelques-uns se servent de ce mot pour signifier quelque chose chimérique.

    Mon esprit à cheval sur des coquesigrues,

    dit Saint-Amant, » — L’un des exemples donnés par le Dictionnaire de l’Académie de 1694 : « H nous veut repaître de coquesigrues de mer, » se rattache au premier sens de Furetière.

  2. 22. Ce membre de phrase : « d’autres ensevelis, etc., » se lit seulement dans le texte de 1754.
  3. 23. « Nous nous en revînmes. » (Édition de 1754.)
  4. 24. « Je me crus obligée. » (Ibidem.)
  5. 25. Le calambour ou le bois d’aigle (voyez tome II, p. 493, où le mot est écrit caiambau) est une espèce de bois d’aloès qui croît au