Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 6.djvu/72

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1679 Pour votre frère, c’est un homme admirable ; il n’a jamais pu se passer de gâter les merveilles qu’il avoit faites aux états par un goût fichu, et un amour sans amour, entièrement ridicule. L’objet s’appelle Mlle  de la Coste ; elle a plus de trente ans, elle n’a aucun bien, nulle beauté ; son père dit lui-même qu’il en est bien fâché, et que ce n’est point un parti pour M. de Sévigné : il me l’a mandé lui-même ; je l’en loue, et le remercie de sa sagesse. Savez-vous ce qu’a fait ensuite votre frère ? Il ne quitte pas la demoiselle ; il la suit à Rennes, en basse Bretagne où elle va, sous prétexte d’aller voir Tonquedec : il lui fait tourner la tête ; il la dégoûte d’un parti proportionné, auquel elle est comme accordée : toute la province en parle ; M. de Coulanges et toutes mes amies de Bretagne m’en écrivent, et croient tous qu’il se mariera. Pour moi, je suis persuadée que non ; mais je lui demande pourquoi décrier sans besoin sa pauvre tête, qui avoit si bien fait dans les commencements ? Pourquoi troubler cette fille, qu’il n’épousera jamais[1] ? Pourquoi lui faire refuser ce parti, qu’elle ne regarde plus qu’avec mépris ? Pourquoi cette perfidie ? Et si ce n’en est point une, elle a bien un autre nom, puisque assurément je ne signerois point à son contrat de mariage. S’il a de l’amour, c’est une folie qui fait faire encore de plus grandes extravagances ; mais comme je l’en crois incapable, je ferois scrupule, si j’étois en sa place, de troubler, de gaieté de cœur, l’esprit et la fortune d’une personne qu’il est si aisé d’éviter. Il est aux Rochers, me parlant de ce voyage chez Tonquedec, mais pas un mot de la demoiselle, ni de ce bel attachement en général

  1. 10. Cette phrase manque dans l’édition de 1754, qui commence ainsi la phrase suivante : « Pourquoi faire refuser à la demoiselle ce parti, etc. » — Mlle  de la Coste se maria neuf ans après : voyez la lettre du 17 novembre 1688.