Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 8.djvu/198

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que c’eût été un autre que Sa Majesté qui eût fait mon salut.

Vous ne sauriez dire votre douleur sur la séparation de votre chère Comtesse à personne qui la sache mieux comprendre que moi ; j’ai été depuis douze ou treize ans plusieurs fois sur le point de mourir, parce que j’étois sur le point de quitter votre nièce : rien ne m’est si fortement demeuré dans la mémoire que ces sortes d’angoisses, qui sont les plus cruels tourments de l’esprit. Votre dépit contre Paris me paroit naturel. Pour moi, j’allois jusqu’à la haine contre les lieux où je l’avois vue et je trouve bizarre qu’on ne puisse souffrir les endroits qui font ressouvenir des gens aimés qu’on y a vus et qu’on n’y voit plus. J’ai trouvé beau ce que vous dites, qu’il est douloureux d’exceller en amitié; et Quinault, qui l’a dit en vers, ne l’a pas dit si fortement que vous :

N’aimons jamais, ou n’aimons guère [1].

11 faut dire comme vous :

Il est douloureux d’aimer tant.

La<ref5. Tout cet alinéa a été biffé dans le manuscrit.</ref> mort de Vivonne ne m’a ni surpris ni fâché, parce que je m’attendois bien qu’une vérole de Naples, négligée dans les commencements et peut-être renouvelée d’une vérole de Paris, l’empécheroit de vieillir. Pour la fâcherie, après une étroite amitié entre lui et moi, mes disgrâces me l’avoient fait perdre, et je l’avois assez méprisé pour ne lui en avoir fait aucun reproche; mais je le regardois comme un homme d’esprit et de courage qui avoit un fort vilain cœur, et sa vie et sa mort me font juger que son àme étoit encore plus infâme.

  1. II est dangereux d’aimer tant 4 4. Vers de Thésée (acte II, scène V), déjà cités au tome III, p. 450.