Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/105

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avis sur ce sujet. Tai demandé à ce gentilhomme si vous n’étiez point bien fatiguée ; il m’a dit que vous étiez très-belle ; mais vous savez que mes yeux pour vous sont plus justes que ceux des autres : je pourrais bien vous trouver abattue et fatiguée, au travers de leurs approbations. J’ai été enrhumée ces jours-ci, et j’ai gardé ma chambre ; presque tous vos amis ont pris ce temps-là pour me venir voir : l’abbé Têtu [1] m’a fort priée de le distinguer en vous écrivant. Je n’ai jamais vu une personne absente être si vive dans tous les cœurs ; c’était à vous qu’était réservé ce miracle : vous savez comme nous avons toujours trouvé qu’on se passait bien des gens ; on ne se passe point de vous : ma vie est employée à parler de vous : ceux qui m’écoutent le mieux sont ceux que je cherche le plus. N’allez point craindre que je sois ridicule ; car, outre que le sujet ne l’est pas, c’est que je connais parfaitement bien et les gens et le lieu, et ce qu’il faut dire et ce qu’il faut taire. Je dis un peu de bien de moi en passant, j’en demande pardon au Bourdaloue et au Mascaron : j’entends tous les matins ou l’un ou l’autre ; un demi-quart des merveilles qu’ils disent devrait faire une sainte.

Je vous avoue de bonne foi, ma petite, que je ne puis du tout m’accoutumer à vous savoir à deux cents lieues de moi ; je suis plus touchée que je ne l’étais lorsque vous étiez en chemin, je repleure sur nouveaux frais, je ne vois goutte dans votre cœur, je me représente cent choses désagréables que je ne puis dire, je ne vois pas mêmeceque pense M. de Grignan ; et tout est brouillé, je ne sais comment, dans ma tête. Je vous vois accablée d’honneurs, et d’honneurs qui tiennent fort au nom que vous portez ; rien n’est plus grand ni plus considéré ; nulle famille ne peut être plus aimable : vous y êtes adorée, à ce que je crois, car le coadjuteur ne m’écrit plus ; mais j’ignore comment vous vous portez dans tout ce tracas ; c’est une sorte de vie étrange que celle des provinces ; on fait des affaires de tout. Je m’imagine que vous faites des merveilles, et je voudrais bien savoir ce que ces merveilles vous coûtent, soit pour vous plaindre, soit pour ne vous plaindre pas.

Je reçois votre lettre, ma chère enfant, et j’y fais réponse avec précipitation parce qu’il est tard : cela me fait approuver les avan

  1. Jacques Têtu, abbé de Belval ; c’était un personnage vaporeux plaint par M. de Sévigné, et dont M. de Coulanges se moquait. Il était de l’Académie française.