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Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/99

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yeux vitreux. Kolanko le poussa du coude. — Eh bien ! ton avis là-dessus ?

— Que Dieu m’en préserve, repartit gravement Frinko Balaban, je ne voudrais pas naître une seconde fois !

— Voici ce que je me dis, mon bon monsieur, poursuivit le vieillard. Je me dis : Tu t’ennuies assez de traîner le fardeau de tes cent ans ; cependant ceci aura une fin, mais, si tu commences à t’ennuyer dans la vie éternelle, tu es un homme perdu. Supposons, mes amis, que tout ce qu’on nous dit par rapport au ciel soit vrai. Bien. D’abord ça ne manque pas de charme, on a des conversations agréables qui vous amusent. Saint Sébastien me raconte comment les Turcs ont tiré sur lui avec des flèches et l’ont cloué comme un hibou, mais sans le tuer tout à fait, comment il a été sauvé par une veuve qui l’a pris dans sa maison, puis comment il est retourné chez l’empereur des païens pour l’appeler vile engeance et se faire tuer cette fois pour de bon. Ou le saint évêque Polycarpe me raconte la fameuse réponse qu’il a faite à un maréchal romain et pour laquelle il fut rôti sur un bûcher, ou saint Vincent me décrit comment il fut couché sur des tessons aigus ; mais saint Sébastien vous reparle de ses flèches pour la millième fois, et saint Vincent pour la millième fois de ses tessons, — et puis ne pouvoir pas dormir !

— Vous êtes encore assez vert, lui dis-je ; croyez-vous que vous dépasserez de beaucoup la centaine ?

— Malheureusement oui, répondit-il. Mon bon monsieur, quand on a vu pendant cent ans ce qui