Page:Sacy, Féval, Gautier, Thierry - Rapport sur le progrès des Lettres, 1868.djvu/102

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élégiaques, lyriques, intimes et presque toujours personnelles. Les poèmes sont rares parmi les livres de vers, presque toujours composés de pièces détachées. En général, la composition est assez négligée par les poètes modernes, qui se fient trop aux hasards heureux de l’exécution et à ces beautés de détail qu’amènent quelquefois la recherche ou la rencontre des rimes ; car, de même qu’un motif jaillit sous les doigts du musicien laissant errer ses doigts sur les touches, une idée, une image résultent souvent des chocs de mots évoqués pour les nécessités métriques.

Melænis est un poème romain où se révèle, dès les premiers vers, une familiarité intime avec la vie latine. L’auteur se promène dans la Rome des empereurs sans hésiter un instant, du quartier de Saburre au mont Capitolin. Il connaît les tavernes où, sous la lampe fumeuse, boivent, se battent et dorment les histrions, les gladiateurs, les muletiers, les prêtres saliens et les poètes, pendant que danse quelque esclave Syrienne ou Gaditane. Il a pénétré dans le laboratoire des pâles Canidies, ténébreuse officine de philtres et de poisons, et sait par cœur les incantations des sorcières Thessaliennes. S’il vous fait asseoir sur le lit de pourpre d’un banquet chez un riche patricien, croyez que Lucullus, Apicius ou Trimalcion ne trouveraient rien à redire au menu. Pétrone, l’arbitre des élégances et l’intendant des plaisirs de Néron, n’ordonne pas une orgie avec une volupté plus savante, et quand Paulus, le héros du poème, oublieux déjà de Melænis, la belle courtisane amoureuse, quitte le triclinium pour errer dans le jardin mystérieux où l’attend Marcia, la jeune femme de l’édile, le vers, qui, tout à l’heure, s’amusait à rendre avec un sérieux comique les bizarres somptuosités de la cuisine romaine ou les grimaces grotesques du nain Stellio, devient tout à coup tendre, passionné, baigné de parfums, azuré par des reflets de clair de lune, opposant sa douce lueur bleuâtre au rouge éclat de la salle du festin. Mais nous n’avons pas à faire ici l’analyse de Melænis, l’espace nous manque pour cela. Qu’il nous suffise de dire que Louis Bouilhet, dans le cadre d’une histoire romanesque,