Page:Sacy, Féval, Gautier, Thierry - Rapport sur le progrès des Lettres, 1868.djvu/108

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d’une concentration extrême, est une essence passée plusieurs fois par l’alambic et qui résume en une goutte les saveurs et les parfums qui flottent épars chez les autres poètes. Il possède au plus haut degré la concision, la texture serrée du style et du vers, l’art de réduire une image en une épithète, la hardiesse d’ellipse, l’ingéniosité subtile et l’adresse d’emménager dans la place circonscrite qu’il est interdit de dépasser jamais, une foule d’idées, de mots et de détails qui demanderaient ailleurs des pages entières aux vastes périodes. Ceux qui aiment les lectures faciles et tournent les pages d’un doigt distrait pourraient trouver le style de Joséphin Soulary un peu obscur ou malaisé à comprendre ; mais le sonnet comporte cette difficulté savante. Pétrarque ne se lit pas couramment, et l’Italie, où l’on sait apprécier le sonnet, a envoyé au poète une médaille d’or avec cette inscription : Giuseppe Soulary le muse francesi guido ad attingere alle Itale fonti.

Dans un temps de fécondité débordante, c’est bien peu, nous le savons, qu’un volume de sonnets ; mais nous préférons à des bibliothèques de gros volumes d’un intérêt mélodramatique cette fine étagère finement sculptée qui soutient des statuettes d’argent ou d’or d’un goût exquis et d’une élégance parfaite dans leur dimension restreinte, des buires d’agate ou d’onyx, des cassolettes d’émail contenant des parfums concentrés, de précieux vases myrrhins opalisés de tous les reflets de l’iris, et parfois un de ces charmants petits vases lacrymatoires d’argile antique contenant une larme durcie en perle pour qu’elle ne s’évapore pas.

Sur les confins extrêmes du romantisme, dans une contrée bizarre éclairée de lueurs étranges, s’est produit, quelque peu après 1848, un poète singulier, Charles Baudelaire, l’auteur des Fleurs du mal, un recueil qui fit à son apparition un bruit dont n’est pas ordinairement accompagnée la naissance des volumes de vers. Les Fleurs du mal sont en effet d’étranges fleurs, ne ressemblant pas à celles qui composent habituellement les bouquets de poésies. Elles ont les couleurs métalliques, le feuillage noir ou glauque, les calices