Page:Sacy, Féval, Gautier, Thierry - Rapport sur le progrès des Lettres, 1868.djvu/119

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n’est plus marchand de peaux de lapin dans une petite île de la mer du Nord, et ne s’entretient pas avec les matelots venus de Syra en vieux grec homérique, comme le prétend le railleur allemand. Il conduit tristement sous les chênes, qui ne rendent plus d’oracles, comme ceux de Dodone, la troupe dépossédée des Olympiens exhalant leurs douleurs en vers superbes, les plus beaux que Théodore de Banville ait jamais écrits.

Après avoir imité, en l’outrant dans sa manière, l’Alfred de Musset de Mardoche, des Marrons du feu, de la Ballade à la lune, non pas en écolier, mais en maître déjà habile, M. Catulle Mendès s’est lassé bien vite de ces allures tapageuses et de cette gaminerie poétique. Il s’est calmé et a mis comme on dit de l’eau dans son vin ; mais cette eau est de l’eau du Gange. Quelques gouttes du fleuve sacré ont suffi pour éteindre dans la coupe du poète le pétillement gazeux du vin de Champagne. Pandit élevé à l’école du brahmine Leconte de Lisle, il explique maintenant les mystères du lotus, fait dialoguer Yami et Yama, célèbre l’enfant Krichna et chante Kamadéva en vers d’une rare perfection de forme, malgré la difficulté d’enchâsser dans le rythme ces vastes noms indiens qui ressemblent aux joyaux énormes dont sont ornés les caparaçons d’éléphants. Les Mystères du lotus ne brillent pas par la clarté, mais souvent l’obscurité des choses jette de l’ombre sur les mots, et l’on ne saurait que louer la manière savante dont se déroulent les tercets de cette pièce dans leur mouvement régulier, comme les vagues de la mer d’Amrita, où flotte Purucha sur un lit dont le dais est formé par les mille têtes du serpent Çécha, rêveur et regardant sortir de son nombril le lotus mystique. Cette étrange mythologie indienne avec ses dieux aux bras multiples, ses avatars, ses légendes cosmogoniques et ses mystères inextricables touffus comme des jungles, nous semble, malgré tout le talent qu’on y dépense, d’une acclimatation difficile dans notre poésie un peu étroite pour ces immenses déploiements de formes et de couleurs.

Dans le même recueil sont groupés MM. François Coppée, l’auteur