Page:Sacy, Féval, Gautier, Thierry - Rapport sur le progrès des Lettres, 1868.djvu/120

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du Reliquaire, charmant volume qui promet et qui tient ; Paul Verlaine, Léon Dierx, Auguste Villiers de l’Isle-Adam, José Maria de Heredia, que son nom espagnol n’empêche pas de tourner de très beaux sonnets en notre langue ; Stéphane Mallarmé, dont l’extravagance un peu voulue est traversée par de brillants éclairs ; Albert Merat, qui a là un sonnet, les Violettes, d’un parfum doux comme son titre ; Louis-Xavier de Ricard, Henry Winter, Robert Luzarche, toute une bande de jeunes poètes de la dernière heure, qui rêvent, cherchent, essayent, travaillent de toute leur âme et de toute leur force, et ont au moins ce mérite de ne pas désespérer d’un art que semble abandonner le public. Il serait bien difficile de caractériser, à moins de nombreuses citations, la manière et le type de chacun de ces jeunes écrivains, dont l’originalité n’est pas encore bien dégagée des premières incertitudes. Quelques-uns imitent la sérénité impassible de Leconte de Lisle, d’autres l’ampleur harmonique de Banville, ceux-ci l’âpre concentration de Baudelaire, ceux-là la grandeur farouche de la dernière manière d’Hugo, chacun, bien entendu, avec son accent propre, qui se mêle à la note empruntée. Alfred de Musset, qui donnait son allure à bien des talents, il y a quelques années, ne semble plus influencer beaucoup la génération présente. Les jeunes poètes le trouvent trop incorrect, trop lâché, trop pauvre de rimes, et pourquoi ne pas le dire, trop sensible, trop ému, trop humain en un mot. Le calme est à la mode aujourd’hui. Quelques nouvelles Fleurs du mal, de Baudelaire, s’épanouissent bizarrement au milieu de ce bouquet comme des roses noires, et se distinguent au premier flair à leur parfum vertigineux. Le Jet d’eau, la Malabaraise, Bien loin d’ici, les Yeux de Berthe, montrent que le poète de l’horreur, qui a "doté le ciel de l’art d’on ne sait quel rayon macabre et créé un frisson nouveau, " est aussi, quand il veut, le poète de la grâce, non pas, il est vrai, de la grâce molle et vague, mais de la grâce étrange, mystérieuse et fascinatrice qui peut séduire des esprits raffinés.