Page:Sacy, Féval, Gautier, Thierry - Rapport sur le progrès des Lettres, 1868.djvu/125

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ne peut le définir ; ce qu’il chante, l’auteur l’a non seulement pensé, il l’a éprouvé, il l’a vécu, et ses désenchantements ne sont pas des comédies de douleur. Il y a dans tout livre de vers une pièce qui en est comme la caractéristique, et Sainte-Beuve a finement désigné celle où vibre la note particulière de Lacaussade. Elle porte un titre bizarre et charmant : les Roses de l’oubli, une fleur hybride que ne mentionnent pas les nomenclatures botaniques, mais qui tient bien sa place dans le jardin de la poésie.

Le volume de Maxime Ducamp, les Chants modernes, a ses premières pages remplies par une préface très remarquable, dans laquelle l’auteur cherche avec une sagacité courageuse, au lieu de se lamenter sur l’indifférence du public en matière de poésie, les raisons de cette indifférence. Il en trouve plusieurs : le manque de grandes croyances, d’enthousiasme pour les idées généreuses, de passion et de sens humain. À ces motifs, il en ajoute d’autres : l’ignorance réelle ou volontaire de la vie actuelle, des sublimes inventions de la science et de l’industrie, le retour opiniâtre au passé, aux vieux symboles et aux mythologies surannées, la doctrine de l’art pour l’art, le soin puéril de la forme en dehors de l’idée et tout ce qu’on peut reprocher à de pauvres poètes qui n’en peuvent mais.

Il essaye ensuite de réaliser ses théories, et il y dépense beaucoup de talent, d’énergie et de volonté. Si l’inspiration ne veut pas venir, effrayée par quelque sujet par trop moderne et réfractaire, il la force et lui arrache au moins des vers sobres, corrects et bien frappés : il chante les féeries de la matière, le télégraphe électrique, la locomotive, ce dragon d’acier et de feu. En lisant cette pièce, assurément fort bien faite, nous pensions à une esquisse de Turner que nous avons vue à Londres et qui représentait un convoi de chemin de fer s’avançant à toute vapeur sur un viaduc, par un orage épouvantable. C’était un vrai cataclysme. Éclairs palpitants, des ailes comme de grands oiseaux de feu, babels de nuages s’écroulant sous les coups de foudre, tourbillons de pluie vaporisée par le vent : on eût dit le décor de la fin du monde. À travers tout cela