Page:Sacy, Féval, Gautier, Thierry - Rapport sur le progrès des Lettres, 1868.djvu/76

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

d’années plus haut, bien que la meilleure partie de leur œuvre appartienne à l’époque où se circonscrit notre travail.

Après le grand épanouissement poétique, qui ne peut se comparer qu’à la floraison de la Renaissance, il y eut un regain abondant. Tout jeune homme fit son volume de vers empreint de l’imitation du maître préféré, et quelquefois mêlant plusieurs imitations ensemble. De cette voie lactée, aux nébuleuses innombrables et peu distinctes traversant le ciel de sa blancheur, le premier qui se détacha, avec un scintillement vif et particulier, fut Théodore de Banville. Son premier volume, intitulé les Cariatides, porte la date de 1841, et fit sensation. Quoique l’école romantique eût habitué à la précocité dans le talent, on s’étonna de trouver des mérites si rares en un si jeune homme. Théodore de Banville avait vingt et un ans à peine et pouvait réclamer cette qualité de mineur si fièrement inscrite par lord Byron au frontispice de ses Heures de loisir. Sans doute, dans ce recueil aux pièces diverses de ton et d’allure, on peut reconnaître çà et là l’influence de Victor Hugo, d’Alfred de Musset et de Ronsard, dont le poète est resté à bon droit le fervent admirateur ; mais on y discerne déjà facilement la nature propre de l’homme. Théodore de Banville est exclusivement poète ; pour lui, la prose semble ne pas exister ; il peut dire comme Ovide : "Chaque phrase que j’essayais d’écrire était un vers." De naissance, il eut le don de cette admirable langue que le monde entend et ne parle pas ; et de la poésie, il possède la note la plus rare, la plus haute, la plus ailée, le lyrisme. Il est, en effet, lyrique, invinciblement lyrique, et partout et toujours, et presque malgré lui, pour ainsi dire. Comme Euphorion, le symbolique enfant de Faust et d’Hélène, il voltige au-dessus des fleurs de la prairie, enlevé par des souffles qui gonflent sa draperie aux couleurs changeantes et prismatiques. Incapable de maîtriser son essor, il ne peut effleurer la terre du pied sans rebondir aussitôt jusqu’au ciel et se perdre dans la poussière dorée d’un rayon lumineux.