Page:Sacy, Féval, Gautier, Thierry - Rapport sur le progrès des Lettres, 1868.djvu/78

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se promènent dans des prairies d’émeraude, avec des robes couleur du temps, couleur du soleil et couleur de la lune.

Dans ces dernières années, Banville, qui a bien rarement quitté la lyre pour la plume, a fait paraître les Exilés, où sa manière s’est agrandie et semble avoir donné sa suprême expression, si ce mot peut se dire d’un poète encore jeune et bien vivant et capable d’œuvres nombreuses. La mythologie tient une grande place dans ce volume, où Banville s’est montré presque plus grec que partout ailleurs, bien que ses dieux et surtout ses déesses prennent parfois des allures florentines à la Primatice et aient l’air de descendre en cothurnes d’azur lacés d’argent, des voûtes ou des impostes de Fontainebleau. Cette tournure fière et galante de la Renaissance mouvemente à propos la correction un peu froide de la pure antiquité. Les Améthystes sont le titre d’un petit volume plein d’élégance et de coquetterie typographiques, dans lequel l’auteur, sous l’inspiration de Ronsard, a essayé de faire revivre les rythmes abandonnés depuis que l’entrelacement des rimes masculines et féminines est devenu obligatoire. De ce mélange de rimes, prohibé aujourd’hui, naissent des effets d’une harmonie charmante. Les stances des vers féminins ont une mollesse, une suavité, une mélancolie douce dont on peut se faire une idée en entendant chanter la délicieuse cantilène de Félicien David : "Ma belle nuit, oh ! sois plus lente." Les vers masculins entrelacés se font remarquer par une plénitude et une sonorité particulière. On ne saurait trop louer l’habileté exquise avec laquelle l’auteur manie ces rythmes dont Ronsard, Rémy Belleau, A. Baïf, Dubellay, Jean Daurat et les poètes de la pléiade tiraient un si excellent parti. Comme les odelettes de l’illustre Vendômois, ces petites pièces roulent sur des sujets amoureux, galants, ou de philosophie anacréontique.

Nous n’avons encore montré qu’une face du talent de Banville, la face sérieuse. Sa muse a deux masques, l’un grave et l’autre rieur. Ce lyrique est aussi un bouffon à ses heures. Les Odes funambulesques dansent sur la corde avec ou sans balancier, montrant l’étroite semelle frottée de blanc d’Espagne de leurs brodequins et se livrant