Page:Sacy, Féval, Gautier, Thierry - Rapport sur le progrès des Lettres, 1868.djvu/80

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du travail : chaque poète a sa lyre et chante seul. Quoiqu’il y ait chez les deux le même fond de loyauté et de croyances, le talent a sa note particulière et son accent propre. Chez le marquis de Belloy se mêle à la poésie une nuance toute française et disparue depuis le XVIIIe siècle, l’esprit. Le comte de Gramont est toujours sérieux, sans mauvaise humeur cependant, mais il ne sait pas ou il ne veut pas sourire. Sa muse est grave, d’une pâleur de marbre sous sa couronne de laurier, comme une muse du Parnasse de Raphaël ; celle du marquis de Belloy met pour aller au bal un soupçon de fard et une mouche. Tous deux cherchent la beauté, mais l’un admet le joli, que l’autre repousse ; seulement ils ont le même soin exquis de la forme, le même souci de la langue et du style, la même patiente recherche de la perfection. De Belloy a fait, sous le pseudonyme transparent de Chevalier d’Aï, l’histoire intellectuelle de son talent ; il a peint les fluctuations littéraires de l’aimable chevalier très accessible aux idées modernes, malgré ses préjugés de caste, et qui va du ton des poésies légères de Voltaire au lyrisme et aux colorations de l’école romantique ; mais dans le madrigal ou l’ode, on reconnaît toujours la personnalité fine, élégante et quelque peu aristocratique du poète. Ce livre, dans lequel des intermèdes de prose séparent et en même temps relient entre elles les pièces de vers, est de tout point charmant.

Un autre volume, les Légendes fleuries, contient des poèmes dont quelques-uns ont une certaine étendue. Nous citerons, parmi les plus remarquables, Lilith, première femme d’Adam selon la tradition orientale ; histoire talmudique racontée par un vieux rabbin mal converti au christianisme, et entremêlée de digressions et de boutades humoristiques, car il y a chez de Belloy une certaine pointe de satire. Ce n’est que l’épine de la rose, mais elle n’en pique pas moins et fait venir à l’épiderme une petite perle rouge. La foi sauve est une légende charmante, et dans les Byzantins, dialogue de deux bergers païens, qui entrevoient l’aurore d’une croyance nouvelle, l’auteur, par l’élévation de l’idée, la poésie des détails et la beauté