Page:Sacy, Féval, Gautier, Thierry - Rapport sur le progrès des Lettres, 1868.djvu/88

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ce poète des champs ; il n’a oublié aucun des secrets du métier. Son vers est plein, solide, grave ; ses rimes sont riches, s’étayant toujours à la consonne d’appui, d’un son pur comme le tintement de la clochette suspendue au col des vaches descendant de la montagne, nouvelles sans bizarrerie et toujours bien amenées. Virgile, tout en soulignant quelques lourdeurs, applaudirait à ces nouvelles Géorgiques.

Henri Blaze de Bury, quoiqu’il soit jeune encore et n’ait pas déserté le champ de bataille de la poésie, comme cela est arrivé à plusieurs et des mieux méritants, détournés de l’art sacré par la critique plus lucrative et le placement plus facile, a débuté vers 1833, en plein mouvement romantique, avec le Souper chez le commandeur, inséré d’abord dans la Revue des Deux-Mondes, et réimprimé plusieurs fois depuis. — C’était une œuvre excessive et bizarre, où la prose se mélangeait au vers dans une proportion shakespearienne, et où l’on sentait que le Don Juan de Tirso de Molina et de Molière avait lu Byron, Hoffmann, et écouté la musique de Mozart. Il y a eu dans la composition du poète, chez Henri Blaze, trois éléments très reconnaissables : l’homme du monde ou, pour être plus intelligible, le dandy, le dilettante et le critique. Tout jeune, il savait l’allemand, la musique, il portait des gants paille, et l’autorité paternelle lui ouvrait les coulisses et les loges intimes des théâtres lyriques. Ajoutez à cela un reflet de diplomatie, quelques relations avec les cours du Nord, et vous aurez un poète élégant et mondain, quoique très lettré, très savant et très romantique, d’une physionomie toute particulière. Henri Blaze traduisit le Faust de Gœthe, non seulement le premier, mais le second, ce qui est d’une bien autre difficulté, à la satisfaction générale des Allemands, étonnés d’être si bien compris par un Français dans l’œuvre la plus abstraite et la plus volontairement énigmatique de leur plus haut génie. — Ses vers, d’une facture très savante, quoique d’une apparence parfois négligée, rappellent en quelques endroits l’allure d’Alfred de Musset ; ils portent, comme les fashionables de ce temps-là, la rose