Page:Sacy, Féval, Gautier, Thierry - Rapport sur le progrès des Lettres, 1868.djvu/90

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décisive, brève et tendant toujours au but, de Vacquerie. La volonté, chez lui, domine toujours l’inspiration et le caprice. Il faut qu’une pièce de vers exprime d’abord l’idée qu’on lui confie, et l’auteur ne lui permet guère de courir en chemin après les fleurs et les papillons, à moins que cela ne rentre dans son plan et ne serve comme contraste ou comme dissonance. S’il retouche un morceau, c’est pour retrancher et non pour ajouter ; il ne greffe pas, il coupe, ne voulant rien laisser que d’essentiel. Auguste Vacquerie pourrait dire comme Joubert : "S’il est un homme tourmenté par la maudite ambition de mettre tout un livre dans une page, toute une page dans une phrase, et cette phrase dans un mot, c’est moi." Cette sobriété mâle, sans complaisance pour elle-même, et qui s’interdit tout ornement inutile, l’auteur de l’Enfer de l’esprit et des Demi-teintes l’apporte dans tout ce qu’il fait. Ce poète a en lui un mathématicien qui se demande toujours : "A quoi bon ? " Sa pensée, haute, droite, peu flexible, ne connaît pas les moyens termes, et quand par hasard elle se trompe, c’est avec une conscience imperturbable, un aplomb effrayant et une rigueur de déductions qui vous stupéfie. L’erreur, avec cette netteté et cette logique de formes, prend le caractère de la vérité. Dans sa froide outrance, le poète, parfaitement tranquille, pousse les choses jusqu’à leurs dernières conséquences logiques, le point de vue une fois accepté. Il est bien entendu qu’il ne s’agit ici que de détails purement littéraires. Malgré des bizarreries auxquelles on a donné trop d’importance, Vacquerie aime le beau, le vrai et le bien, d’un amour qui ne s’est jamais démenti. Depuis 1845, date de son dernier volume, il semble avoir quitté la poésie pure pour le théâtre et la critique.

Maintenant nous voici dans un grand embarras : il conviendrait de mettre à la suite de ces écrivains, qui ont versifié avant 1848, et versifient encore de nos jours, un auteur qui nous est cher, mais qu’il nous serait difficile de louer et impossible de maltraiter. Comme les poètes ne se gênent guère pour dire aux prosateurs qui les critiquent : "Ne sutor ultra crepidam, " on a confié à un poète la