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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


éprouvés ! Si vous aviez accepté, vous seriez à présent avec nous car telle est la vertu et le sortilège que je laisse dans les lits où je couche six semaines de suite. Ah ! que je vous désolerais si vous étiez ici, pauvre madame Gaufridy ! Ce ne serait peut-être pas sans fondement si jamais vous vous ravisez d’être jalouse de moi. Il est bien difficile de toujours vaincre ses désirs ; votre mari à côté de moi, je ne penserais non plus au jeûne et à l’abstinence qu’à l’Alcoran, et à coup sûr vous la seriez, oui, vous la seriez, malgré tous vos charmes ! Vous savez que tous ces petits désirs prennent comme une envie d’éternuer. Deux fous ensemble sont capables de beaucoup de choses. Lequel de nous deux l’est-il davantage ? Nous ne pouvons, je crois, être juges dans notre propre cause. Infaillible et toute charmante Gothon, venez à notre secours ; cet article est de votre compétence ; décidez lequel des deux est plus fou et plus amoureux, de M. Gaufridy ou de moi !……

Croyez, monsieur, qu’à travers mes folies et mes gaudrioles, je fais tout le cas possible de votre amitié et de votre attachement. Vous n’êtes pas de ces hommes qui ne jugez que sur l’écorce. Je crois que nous nous connaissons assez pour hasarder et vous écrire toutes les rêveries de mon imagination, quand, toutefois, il n’y en a pas de plus solides. Les femmes aiment à bavarder, surtout lorsqu’elles estiment la personne… je ne veux pas dire aimer, parce qu’une demoiselle ne doit pas le dire. Adieu, monsieur.


Mademoiselle de Rousset met un post-scriptum en provençal à une lettre de la marquise. (29 mars 1779).

Dieou vous douné lou bon jour, moussu l’avoucat. Prené lou parti de vous escrieouré en patois, afin que madamo la marquiso deviné pas que vous disé : « Ieou vous aimé ». Sarié capablo de trahir nouestré secret si lou sabié. Si sabias quei devengudo fine et retapado desqui quauquetems ; aco se paou pas diré. Es lou countrari de soun hommé que veirés ben leou que la testo li viro si li dounoun pas la liberta. Lou desespoir ses empara deou et a fa quauque imprudenssos que me fan veni tebi. Y a quauquis mes querian un paou brouillas ma coulero a passa en lou paguen de la memo mounedo. Cresi pas que res au moundé y agué tamben dit hounestament sei verita. Si se facho, ma facha. Veiren en pau coumo tout aco virara. May sieou pas ren countento[1]. Madame m’a dit que vous deviez

  1. Dieu vous donne le bonjour, monsieur l’avocat. Je prends le parti de vous écrire en patois pour que madame la marquise ne devine pas que je vous dis : « Je vous aime ». Elle serait capable, si elle le savait, de trahir notre secret. Si vous saviez combien elle est devenue fine et requinquée depuis quelque temps. Cela ne peut se dire. Il en est tout autrement de son mari que vous verrez bientôt. La tête lui tourne si on ne lui donne pas la liberté. Le désespoir s’est emparé de lui et il a fait quelques imprudences qui me font tourner en bourrique. Il y a quelques mois que nous étions un peu brouillés : ma colère est passée en le payant de la même monnaie. Je ne crois pas que nul au monde lui ait aussi bien dit honnêtement ses vérités. S’il se fâche, il m’a fâchée. Nous verrons un peu comme tout cela tournera, mais je n’ai pas lieu d’être contente.