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d’exécuter un dessein beaucoup plus criminel qu’on lui avait soufflé. Les témoins de la scène sont interrogés et, malgré le désistement des deux filles qui ont été les plus incommodées, le contumace est condamné à mort par les juges de la sénéchaussée de Marseille. Le parlement d’Aix confirme la peine par arrêt simple du onze septembre 1772.

Mais M. de Sade n’a pas attendu qu’on investisse son château : il s’est enfui en Italie en enlevant sa belle-sœur. Il est avec elle à Venise en juillet 1772. Les deux amants vivent ensemble pendant quelques semaines, puis se séparent dans des circonstances ignorées, car mademoiselle de Launay n’est pas morte outre-monts comme on l’a imprimé par erreur. Le marquis a fixé sa résidence en Savoie, mais le roi de Sardaigne, à la suite de négociations menées auprès de son ambassadeur, le fait enfermer au fort de Miolans, le huit décembre 1772.

Madame de Sade a tout pardonné, tout oublié. Elle se met en campagne, dépense l’argent sans compter, recrute des estafiers, achète des gardiens et fait évader son mari le trente avril 1773. Avant de quitter sa chambre, M. de Sade laisse sur la table une lettre pour le commandant du fort, M. de Launay, où il s’excuse avec beaucoup d’aménité de la liberté grande.

Les aventures de M. de Sade ne prennent cependant pas fin avec la longue période dont on lira ci-après les annales, et le fonds d’où est tiré la matière de ce livre contient encore de lui deux lettres qui sont postérieures à l’an VIII. Elles ont été écrites de la maison des fous de Charenton où le marquis fut interné, après un court séjour à Bicêtre et par ordre du premier consul, à la suite de la publication de « Zoloë et ses deux acolytes ». Cette maison était dirigée par M. de Coulmiers, et le marquis était devenu surintendant des jeux et spectacles de cet étrange hospice où l’on traitait la folie par la joie. Mais ce n’étaient pas seulement les fous qui prenaient part aux divertissements offerts par M. de Coulmiers. Le théâtre dont M. de Sade était à la fois le régisseur et le maître de scène était fréquenté par l’élite de la société. C’est le marquis qui envoyait les billets d’invitation et recevait les spectatrices. Il n’a jamais connu emploi aussi brillant et qui lui convînt mieux depuis l’âge lointain où il faisait jouer la comédie en son château de la Coste, et rien n’est plus extravagant que l’anecdote qui nous représente ce septuagénaire recevant de belles visiteuses sur le seuil de son cabanon et traçant du bout de sa canne, tandis qu’il les entretient, des dessins obscènes dans le sable.