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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


bien traitée et met tous ses talents d’ancienne comédienne devenue cordon bleu à bien se conduire dans ce milieu provincial et dévot. La voilà, semble-t-il, au mieux avec toute la famille : l’honnête et trop craintive maîtresse de maison, la vieille grand-mère, la tante Charlotte, mademoiselle Benoîte et mademoiselle Gothon. J’ai les plus fortes raisons de croire que ce n’est pas du côté de l’avocat qu’on a pris le change.

Le marquis est à Beaucaire le vingt-trois juillet, c’est-à-dire le lendemain de l’ouverture officielle de la foire. L’opération qui l’y amène est, cette fois, de celles qui déjouent les prévisions tout en restant dans la parfaite logique du personnage. Les lettres parlent, sans autres précisions, d’une loterie dont on attendait merveille et qui n’a point donné de résultats. On a mis des billets en vente, mais pas un seul n’a été vendu. Charles, qui avait précédé la troupe, n’a rien fait de bon. Il prétend, par surcroît, n’avoir pas été suffisamment indemnisé de ses frais de route, et le marquis le renvoie à son père en prenant celui-ci pour juge du différend. François reste avec lui et ils se rendent à Arles pour y mettre le mas de Cabanes en vente et faire apposer des affiches dans tout le département. Toutefois le marquis s’est déjà engagé avec son fermier Lombard, qui doit lui verser six mille livres d’acompte. Cet argent sera bon à prendre, sans que la chose mette obstacle à l’exécution des autres projets, car « vente casse vente » selon M. de Sade qui sait accommoder les principes du droit à son propre usage.

Du reste ce Lombard entend la tablature. C’est un type bouffon et un peu équivoque de fermier à la coule, tel qu’on en rencontre parfois chez les paysans en contact avec la plèbe des grandes villes, cynique, jovial et sûr de lui, à la fois bavard et réticent avec d’inimitables tours de langage, un homme, pour tout dire, à qui l’on peut parler raison ! Mais il est parti, « comme tant d’autres », et a laissé un remplaçant qui se montre plus intraitable que lui. Tout s’embrouille.

Le marquis, séparé de Quesnet, a hâte de revoir cette sincère amie dont l’existence lui est plus chère que la sienne. Il est reconnaissant à l’avocat de l’accueil qu’elle a trouvé dans sa maison, mais il se plaint de ne pas en recevoir de lettres et craint que de nouveaux plaisirs « lui fassent oublier les anciens. » M. de Sade n’a jamais senti aussi vivement l’ennui et l’impatience.