Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/86

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
22
CORRESPONDANCE INÉDITE DU


tent du merle et de la grive et l’entente se noue ou se dénoue entre les deux familles selon les circonstances. La marquise, qui a échoué auprès de l’oncle abbé, essaie de gagner à sa cause le vieux commandeur de Sade, son frère, alors à son château de Saint-Cloud dans le Comtat. Mais l’homme ne parle que par sentences, et son intransigeance donne la mesure de sa paresse. La marquise pense qu’un rapprochement bientôt suivi d’une nouvelle brouille serait inutile « si tout cela ne doit tendre qu’à ce que M. de Sade soit enfermé d’abord ».

Les nouvelles d’Aix sont mauvaises, en dépit des assurances précédemment données par le prévôt de Saint-Victor. M. de Castillon a été fortement ému par « les bruits ». Le garde des sceaux lui-même est mécontent ; il se dit compromis vis-à-vis du parlement et n’ose point agir sans un ordre exprès du chancelier.

Une correspondance régulière s’est établie entre Florence et la Coste par le canal de l’avocat aixois. Les lettres arrivent par Turin et partent pour l’Italie une fois la semaine, le dimanche à huit heures. On les fait affranchir par le grand bureau d’Aix, car le nom de comte de Mazan, sous lequel le marquis voyage, est trop connu à Avignon. Gaufridy, qui lésine comme un bourgeois, trouve le port trop coûteux et le marquis l’accuse de compromettre sa sécurité en lui écrivant encore par Avignon. Il offre à l’avocat de lui faire remettre par la marquise un diamant de cinquante louis en garantie, prend de grands airs, envisage de cruels sacrifices dont le plus pénible sera sans contredit la perte de ses illusions et demande enfin au coupable de se faire pardonner. Telle est sa manière.

Carteron, que M. de Sade a amené avec lui, repasse les monts à la mi-août et arrive à la Coste « avec un dogue aussi noir que lui ». L’humeur de madame de Montreuil s’adoucit ; elle envoie même de l’argent au marquis et promet de lui en envoyer encore pourvu qu’il soit modéré dans sa dépense. Le sac n’était pas gros car la marquise continue à chercher ses mille écus afin que son mari puisse se rendre à Rome où l’air n’est point mauvais en cette saison. Mais les banquiers ne voient partout qu’achoppements et obstacles : le change est lourd ; il en coûtera quatre du cent pour faire remise de France sur Rome et mieux vaudrait qu’elle fût faite de Gênes ; il est, au surplus, impossible d’avoir des lettres de change à vue : elles sont toutes à six mois. La marquise se débat entre la double difficulté de faire tenir à destination le peu d’argent qu’elle a et de se procurer celui qui lui manque. Depuis l’affaire de Marseille, le juif[ws 1] se méfie ; les fermiers ne peuvent ou ne veulent plus

  1. Sur le fac similé, le mot juif est entouré par une surcharge manuscrite et un point d’interrogation est inscrit en dessous.