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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


nant que M. de Castillon et l’avocat Siméon pensent, comme lui, qu’un arrêt ne peut être obtenu que par la voie de la cassation au conseil et qu’il est nécessaire que le marquis se rende d’abord prisonnier pour purger sa contumace et former son pourvoi. Ces vues le justifient d’avoir refusé de faire à Aix un voyage absurde, et les hommes ne triomphent jamais plus que lorsqu’ils peuvent donner à leur indolence l’excuse de la perspicacité. Cette affaire d’Aix commence d’ailleurs à secouer l’apathie générale. Le commandeur lui-même demande des nouvelles de la négociation et y prendra part, s’il ne doit pas lui en coûter trop de peine.

Ces graves intérêts ne distraient point la marquise de ce qui se passe au château de la Coste et dans la grappe de maisons qui y est suspendue. Le fonds Gaufridy abonde en documents qui peignent sur le vif les personnes, les institutions et les coutumes : rumeurs de vassaux et intrigues de domestiques, certificats de médecins, consultations de praticiens, sentences expédiées, pétition pour la nomination d’un syndic des forains « afin de savoir comment les affaires de cette comté sont menées », réceptions de paquets avec les lettres de voiture des messageries royales, descentes de cavaliers dans les tripots, exode des joueurs en terre du pape où la police est plus soucieuse de l’indocilité des consciences que des nocturnes assemblées au blanc-tapis.

Nanon est enfermée à Arles. C’est désormais Lions, bourgeois de cette ville et receveur des taxes de l’ordre de Malte, qui renseigne la famille. Il fait, dans la même teneur, le paisible récit des colères de la captive et ses rapports sur la ménagerie ou les travaux du mas de Cabanes : comptes de récoltes en septiers, émines et picotins, prix atteints au grenier ou sur le foirail par le beau blé, les soulens et les soulençons (entendez les criblures à leurs divers degrés d’impureté), réparations aux bâtiments, aux espaciers et aux roubines.

Nanon veut écrire au roi et à ses parents et menace de se détruire par méchanceté pure. Les religieuses qui veillent sur elle ne peuvent retenir sa langue qui ne respecte rien et ne se tait que lorsqu’il est question d’aller à confesse. Il n’y a pas de murs ni de pieuses habiletés pour étouffer cette rumeur qui se presse aux serrures. Déjà une première enquête a été faite sur les pensionnaires de la maison, mais madame de Montreuil, aussitôt avisée, a vu le ministre : Nanon doit rester enfermée, au moins jusqu’à ce que la réhabilitation de M. de Sade ait été obtenue. Sa pension est exactement payée et nul n’en demande davantage. Lions et la supérieure lui parlent fortement de ses péchés.