Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/159

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eſt-il moins inutile ? en peut-il être moins mépriſable ? Dans une ſociété totalement vicieuſe, la vertu ne ſervirait à rien : les nôtres n’étant pas de ce genre, il faut abſolument ou la jouer, ou s’en ſervir, afin d’avoir moins à redouter de ceux qui la ſuivent. Que perſonne ne l’adopte, elle deviendra inutile ; je n’ai donc pas tort quand je ſoutiens que ſa néceſſité n’eſt que d’opinion, ou de circonſtances ; la vertu n’eſt pas un mode d’un prix inconteſtable, elle n’eſt qu’une manière de ſe conduire, qui varie ſuivant chaque climat & qui par conſéquent n’a rien de réel, cela ſeul en fait voir la futilité. Il n’y a que ce qui eſt conſtant qui ſoit réellement bon ; ce qui change perpétuellement ne ſaurait prétendre au caractère de bonté, voilà pourquoi l’on a mis l’immutabilité au rang des perfections de l’Éternel ; mais la vertu eſt abſolument privée de ce caractére : il n’eſt pas deux peuples ſur la ſurface du globe qui ſoient vertueux de la même manière ; donc la vertu n’a rien de réel, rien de bon intrinſéquement, & ne mérite en rien notre culte ; il faut s’en ſervir comme d’étaie, adopter politiquement celle du pays où l’on vit, afin que ceux qui la pratiquent par goût, ou qui doivent la révérer par état, vous laiſſent en repos, & afin que cette vertu reſpectée où vous êtes, vous garantiſſe par ſa prépondérance de convention, des attentats de ceux qui profeſſent le vice. Mais encore une fois, tout cela eſt de circonſtances,