Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
( 15 )


Oui, vous me voyez dans une poſition bien affligeante pour une jeune fille ; j’ai perdu mon pere & ma mere… Le Ciel me les enleve à l’âge où j’avais le plus beſoin de leur ſecours… Ils ſont morts ruinés, Monſieur ; nous n’avons plus rien. — Voilà tout ce qu’ils m’ont laiſſé, continua-t-elle, en montrant ſes douze louis… & pas un coin pour repoſer ma pauvre tête… Vous aurez pitié de moi n’eſt-ce pas, Monſieur ? Vous êtes le Ministre de la Religion, & la Religion fut toujours la vertu de mon cœur ; au nom de ce Dieu que j’adore & dont vous êtes l’organe, dites-moi, comme un ſecond pere, ce qu’il faut que je fasse… ce qu’il faut que je devienne ? Le charitable Prêtre répondit en lorgnant Juſtine, que la Paroiſſe était bien chargée ; qu’il était difficile qu’elle pût embraſſer de nouvelles aumônes, mais que ſi Juſtine voulait le ſervir, que ſi elle voulait faire le gros ouvrage, il y aurait toujours dans ſa cuiſine un morceau de pain pour elle. Et, comme en diſant cela, l’interprète des Dieux lui avait paſſé la main ſous le menton, en lui donnant un baiſer beaucoup trop mondain pour un homme d’Égliſe, Juſtine qui ne l’avait que trop compris, le repouſſa en lui diſant : « Monſieur, je ne vous demande ni l’aumône ni une place de ſervante ; il y a trop peu de temps que je quitte un état au-deſſus de celui qui peut faire déſirer ces deux graces, pour être réduite à les implorer ; je

B 4