Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/31

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qui les rongeant ſans ceſſe, les empêche d’être réjouis de ces fauſſes lueurs, & ne laiſſent en leur ame, au lieu de délices, que le ſouvenir déchirant des crimes qui les ont conduits où ils ſont. A l’égard de l’infortuné que le ſort perſécute, il a ſon cœur pour conſolation, & les jouiſſances intérieures que lui procurent ſes vertus, le dédommagent bientôt de l’injuſtice des hommes.

Tel était donc l’état des affaires de Madame de Lorſange, lorſque M. de Corville âgé de cinquante ans, jouiſſant du crédit & de la conſidération, que nous avons peints plus haut, réſolut de ſe ſacrifier entièrement pour cette femme, & de la fixer à jamais à lui. Soit attention, ſoit procédés, ſoit politique de la part de Madame de Lorſange, il y était parvenu, & il y avait quatre ans qu’il vivait avec elle, abſolument comme avec une épouſe légitime, l’orſque l’acquiſition d’une très-belle terre auprès de Montargis, les obligea l’un & l’autre d’aller passer quelque temps dans cette Province.

Un ſoir, où la beauté du temps leur avait fait prolonger leur promenade, de la terre qu’ils habitaient juſqu’à Montargis, trop fatigués l’un & l’autre pour entreprendre de retourner comme ils étaient venus, ils s’arrêterent à l’auberge où deſcend le caroſſe de Lyon, à dessein d’envoyer delà un homme à cheval leur chercher une voiture. Ils ſe repoſaient dans une ſalle basse & fraîche