Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/474

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faire… Et je regretterais de quitter ce monde, me dis-je dès que je fus ſeule ! Je craindrais d’abandonner un Univers compoſé de tels monſtres ! Ah ! que la main de Dieu m’en arrache dès l’inſtant même de telle maniere que bon lui ſemblera, je ne m’en plaindrai plus ; la ſeule conſolation qui puiſſe reſter au malheureux né parmi tant de bêtes féroces, eſt l’eſpoir de les quitter bientôt.

Le lendemain je n’entendis parler de rien, & réſolue de m’abandonner à la Providence, je végétai ſans vouloir prendre aucune nourriture. Le jour d’enſuite Cardoville vint m’interroger, je ne pus m’empêcher de frémir en voyant avec quel ſang-froid ce Coquin venait exercer la juſtice, lui, le plus ſcélérat des hommes, lui qui, contre tous les droits de cette juſtice dont il ſe revêtiſſait, venait d’abuſer auſſi cruellement de mon innocence & de mon infortune ; j’eus beau plaider ma cauſe, l’art de ce malhonnête homme me compoſa des crimes de toutes mes défenſes : quand toutes les charges de mon procès furent bien établies ſelon ce juge inique, il eut l’impudence de me demander ſi je connaiſſais dans Lyon un riche particulier nommé Monſieur de Saint-Florent ; je répondis que je le connaiſſais. — Bon, dit Cardoville, il ne m’en faut pas davantage : ce Monſieur de Saint-Florent que vous avouez connaître, vous connaît parfaitement auſſi, il a dépoſé vous avoir vue dans une troupe de voleurs où