Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/82

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dictoires, dont les fabricateurs de cette exécrable chimere ſont obligés de la revêtir ; vérifiez comme elles ſe détruiſent, comme elles s’abſorbent mutuellement, & vous reconnaîtrez que ce phantôme déifique, né de la crainte des uns & de l’ignorance de tous, n’eſt qu’une platitude révoltante, qui ne mérite de nous, ni un inſtant de foi, ni une minute d’examen ; une extravagance pitoyable qui répugne à l’eſprit, qui révolte le cœur, & qui n’a dû ſortir des ténébres que pour y rentrer à jamais.

Que l’eſpoir ou la crainte d’un monde à venir, fruit de ces premiers menſonges, ne vous inquiete donc point, Théreſe, ceſſez ſur-tout de vouloir nous en compoſer des freins. Faibles portions d’une matiere vile & brute, à notre mort, c’eſt-à-dire à la réunion des élémens qui nous compoſent aux élémens de la maſſe générale, anéantis pour jamais, quelle qu’ait été notre conduite, nous paſſerons un inſtant dans le creuſet de la Nature, pour en rejaillir ſous d’autres formes, & cela ſans qu’il y ait plus de prérogatives pour celui qui follement encenſa la vertu, que pour celui qui ſe livra aux plus honteux excès, parce qu’il n’eſt rien dont la Nature s’offenſe, & que tous les hommes également ſortis de ſon ſein, n’ayant agi pendant leur vie que d’après ſes impulſions, y retrouveront tous après leur exiſtence, & la même fin & le même ſort.