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LA MARQUISE DE GANGE

rité de ton fils. — Tout cela est bien vu, mon cher, mais qu’il y a loin souvent du projet à l’exécution ! Que de difficultés je vois dans tout ce que tu dis ! — Je les aplanirai, sois-en sûr. Et l’on se coucha, sans s’informer seulement de l’état affreux dans lequel devait être la plus innocente, la plus vertueuse et la plus malheureuse des femmes.

À quel point les passions endurcissent le cœur de l’homme ! Comment ose-t-on dire qu’elles sont les plus certaines inspirations de la nature, quand elles contrarient aussi formellement toutes ses lois ! Le cœur de l’homme, agité par elles, ressemble au vaisseau battu par la tempête, et que les vents emportent au gré de leur furie. De ce moment, voilà donc le cœur en proie à des mouvements qui ne sont plus naturels, puisqu’ils proviennent d’une cause absolument étrangère ; sans cette cause, il serait calme ; il ne l’est plus dès que cette cause agit ; mais tout étrangère qu’elle est, ne peut-elle pas appartenir à la nature ? Assurément elle n’y tient point : vouloir l’en faire dépendre serait soutenir que Dieu, qui est son moteur, veut à la fois le bien et le mal, ce qui est insupportable dans un être parfait. Mais, vous objectent les athées, si Dieu est tout-puissant, pourquoi soufre-t-il le mal ? Pour nous donner le mérite d’y résister, ce que nous sommes toujours en état de faire avec sa grâce. Mais pourquoi