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LA MARQUISE DE GANGE

je reçois à l’instant de son époux, il faut qu’elle soit remise dans le même état où elle était lorsque mes bontés vinrent à son secours ; vous enlèverez tout absolument de chez elle : le portrait, les livres, les meubles, et vous ne laisserez qu’un seul matelas sur le lit. — Mais, monsieur, dit la compatissante Rose, voilà des ordres bien rigoureux ; madame en tombera malade… À peine remise de sa dernière fièvre… Je vous assure, monsieur, que c’est la faire mourir. — Je le sais, Rose, répondit l’abbé ; mais d’impérieuses circonstances nous obligent à agir ainsi : le duel fait du bruit ; ce n’est qu’en constatant les torts de sa femme que mon frère peut excuser ce malheureux combat ; et si l’on venait ici, il faudrait bien prouver, par la rigueur où la coupable est tenue, l’influence qu’elle eut dans ce malheur : tu sens bien cela, Rose, tu as trop d’esprit pour ne pas le comprendre. — Oh ! oui, monsieur ; mais ce que les circonstances exigent ne désespère pas moins ceux que leur suite peut atteindre ; et madame est si bonne, si douce, si résignée ! — Si elle t’attendrit, je te renvoie : il ne faut considérer en elle que son crime ; et il est si grand qu’il doit éteindre dans toutes les âmes les sentiments de commisération qui pourraient en diminuer l’horreur. Ignores-tu donc, Rose, qu’elle était la maîtresse publique de ce Villefranche ? Que ce mauvais sujet ne gardait plus aucune