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LA MARQUISE DE GANGE

plus que l’autre ; qu’elle lui trouvait de l’esprit, un joli ton, et surtout une douceur de caractère qui l’avait séduite, et qui lui aurait, imaginait-elle, épargné bien des tourments, s’il se fût trouvé près de ses frères à tous les événements du château.

Madame de Châteaublanc ne parut pas saisir cette idée, et elle dit à sa fille qu’elle était autorisée par ses malheurs à se méfier de tout le monde.

Le lendemain, toute la ville fut à la porte de madame de Gange. Ces marques de déférence étaient d’étiquette à Avignon ; mais ici, deux motifs de plus s’y joignaient : la curiosité, et le bruit étonnant qu’avait fait Euphrasie à l’assemblée du duc de Gadagne. Elle rendit ses visites en détail avec sa famille, et, tout en s’occupant à réaliser et à employer les cinq cent mille francs de la succession Nochères, on amusa, on dissipa tant que l’on put la belle marquise.

Le chevalier n’avait point caché à l’abbé la profonde impression qu’avait produite sur ses sens la femme de son frère. — C’est un ange, mon ami, lui dit-il, je n’ai jamais rien vu de supérieur à cette femme. Que de grâces, que de douceur, que d’esprit, que de gentillesse ! Comment n’es-tu pas devenu fou de cette femme pendant qu’elle était sous ta garde ? — Parce qu’on n’abuse jamais de la confiance, dit l’abbé, et que d’ailleurs j’étais chargé de soins si cruels !