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LA MARQUISE DE GANGE

l’accabler de toutes ses rigueurs : cette compensation est une justice du ciel, qui sert à la fois d’exemple et de leçon aux hommes. Mademoiselle Euphrasie de Châteaublanc n’était pas née pour être heureuse ; il fallait que ce fût dès ses plus tendres années que les décrets divins, en s’appesantissant sur elle, lui apprissent que toutes les prospérités de la terre ne servent qu’à prouver à l’homme l’existence d’un monde éternel où Dieu ne doit de récompense qu’aux vertus.

Le comte de Castellane périt dans un naufrage, et sa jeune épouse en apprit la nouvelle au milieu de cette cour qui, venant d’être témoin de ses succès, le devint bientôt de ses larmes. Pleine de respect pour la mémoire de son époux, madame de Castellane se retira dans un cloître, pour éviter des écueils où pourrait peut-être succomber sa jeunesse privée du sage époux qui pouvait l’en garantir ; mais d’aussi prudentes réflexions ne se soutiennent pas à vingt-deux ans. Que de malheurs eût pourtant évités cette femme intéressante, si, nourrissant ces réflexions dans son cœur, elle eut offert à Dieu ce cœur qu’elle consentit à rendre au monde. Eh ! comment l’être qui sut aimer les objets créés ne s’enflamme-t-il pas davantage pour l’être créateur ! Que de vide on reconnaît dans la première de ces émotions, quand on a pu se remplir de toute la douceur de l’autre !

Euphrasie ne tint pas aux ennuis de la retraite :