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LA MARQUISE DE GANGE

ans à Paris, au milieu du tumulte et des plaisirs de la cour et de la ville. Mais deux cœurs bien unis se fatiguent bientôt de tout ce qui paraît interrompre le désir mutuel qu’ils forment de fuir tout ce qui peut avoir l’air de les séparer un moment ; et, dans l’ivresse de leur flamme, tous deux résolurent d’aller s’isoler dans leurs terres, après avoir confié l’enfant mâle qu’ils venaient d’avoir, aux soins de la mère d’Euphrasie, qui, le ramenant à Avignon avec elle, devait l’y faire élever sous ses yeux.

— Oh ! mon ami, dit la marquise à son époux, après le départ de leur enfant, qu’ils se préparaient à suivre, oh ! mon cher Alphonse, on ne s’aime jamais mieux qu’à la campagne ; tout est à nous, tout est pour nous, dans ces retraites fleuries qu’il semble que la nature n’embellisse que pour l’amour. Là, répétait-elle en serrant son aimable époux dans ses bras, là, nuls rivaux à redouter ; tu ne dois pas en craindre avec moi : mais qui m’assurerait que des femmes plus aimables ne finiraient pas à Paris, par m’enlever ton cœur ?… ce cœur qui fait mon unique bien, Alphonse… Alphonse, si je le voyais posséder par une autre, il faudrait qu’en même temps l’on m’arrachât la vie, et, en le voyant, ce cœur où ton image est si bien empreinte, quels remords ne concevrais-tu pas de n’y avoir pas laissé le tien en dépôt ! Tu le sais, cher Alphonse, tu sais