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LA MARQUISE DE GANGE

de votre cœur ; c’est tout ce qu’il me faut. Je vous abandonne à vos réflexions, madame ; mais souvenez-vous que vous n’avez plus en moi que le plus mortel ennemi.

— Eh bien ! eh bien ! dit la marquise en le retenant malgré lui, accusez-moi devant ma mère et vos deux frères, si vous l’osez ; cessez d’agir par des moyens occultes et calomnieux. J’invoque un tribunal de famille ; c’est là que je veux répondre à vos horreurs : si vous avez là l’impudence de les soutenir, si vous parvenez à me convaincre, je me rends à vous ; mais vous cesserez de me parler comme vous le faites, si vous ne réussissez pas à persuader de mes torts ceux devant qui je veux qu’ils soient prouvés. — Artificieuse créature, dit l’abbé, tu sens bien que je ne puis faire cela sans passer pour coupable moi-même, et voilà pourquoi tu me défies. Non, je ne ferai pas ce que tu désires, et les moyens que j’emploierai pour te perdre seront plus sûrs que ceux que tu crois capables de te sauver. La malheureuse Euphrasie frissonna : on eût dit qu’elle pressentait ce que lui réservait ce monstre : il lui semble que les furies de l’enfer déroulent à ses yeux le voile de sang que lui dérobait l’avenir.

Le scélérat sortit, et, pour rapprocher les traits de sa vie qui servent le mieux à le peindre, quoique ces conversations aient eu quelque intervalle entre elles, il fut dire au chevalier qu’il avait bien