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Page:Sade - La marquise de Gange, Pauvert, 1964.djvu/294

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LA MARQUISE DE GANGE

vous envelopper ? Ah ! madame, en reconnaissant l’exécrable Deschamps, daignerez-vous le secourir ? Ce n’est pas pour moi que je réclame, ô ma respectable dame ! mon forfait me rend trop indigne de votre pitié… Non, ce n’est pas pour moi ; mais cette généreuse pitié que j’ose implorer, madame, veuillez l’étendre sur les tristes objets que voilà et que la juste colère du Ciel précipite avec moi dans l’infortune.

La marquise, levant les yeux, voit sur quelques ais pourris un octogénaire palpitant dans les angoisses de la faim, et dont le souffle dénué de chaleur cherche pourtant à ranimer un faible nourrisson que ne peut plus alimenter le sein flétri d’une malheureuse mère étendue sur les pieds de celui qui donna le jour à son époux.

— Voilà ma famille, madame, poursuivit Deschamps, voilà les êtres que mes crimes plongent au tombeau ; c’est pour eux seuls que je vous intercède : l’innocent doit-il porter la peine du coupable ?… Refusez-moi tout, vous le devez, madame ; mais daignez soutenir la vie de ces infortunés dont les mains portent déjà la teinte du tombeau et trouvent encore la force de s’élever vers vous. Qu’ils-ne descendent pas en me maudissant dans les abîmes de la mort ; que leurs mânes ne repoussent pas avec horreur les ténèbres de l’éternité où je les ensevelis avec moi. Depuis trois jours, pas un seul aliment n’est