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LA MARQUISE DE GANGE

à leurs genoux ! et qu’ai-je donc fait pour la mériter, et pour la recevoir de vos mains ? Ô chevalier ! souffrez que je vous demande la vie ; n’achevez pas votre barbare ouvrage, et laissez-moi mourir sur le bord du tombeau… — Pressez-vous, madame, répond cet homme féroce, il est temps rien de vous ne nous touche plus ; vous avez comblé la mesure… Choisissez vite le genre de mort, ou la réunion de tous trois va précipiter votre fin. — Ô ciel ! n’est-il donc que mon sang qui puisse assouvir votre vengeance ? et faut-il qu’il soit répandu par vous ?… Mais cette infortunée, voyant que les élans de sa profonde douleur ne font qu’accroître la rage de ses meurtriers, recueille toutes ses forces, prend le verre, et avale la fatale liqueur… Le chevalier, s’apercevant que le marc est resté au fond, ce qui doit avoir diminué la force du venin, saisit le vase, l’agite, remue cette bourbe avec la pointe de l’épée que sa main tient encore : Bois donc, dit-il à sa sœur, avale le calice jusqu’à la lie. La tremblante Euphrasie reprend la coupe… — Donnez, donnez, dit-elle, je vais vous obéir ; c’est m’obliger que de hâter la fin de mes tourments ; en avalant la mort dans ce vase, je ne verrai plus mes bourreaux… Elle dit : mais ses forces la trompent. Elle porte la liqueur à sa bouche ; mais un cri de répugnance la lui fait involontairement rejeter ; elle rejaillit sur son sein, qui se teint à l’instant,