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LA MARQUISE DE GANGE

madame de Châteaublanc et son petit-fils l’avaient devancé.

Ah ! mon cher Alphonse, dit Euphrasie, en voyant entrer son époux dans sa chambre, voyez l’état où ces barbares m’ont mise : pourquoi m’avez-vous laissée dans leurs mains ?… D’affreux souvenirs firent ici frissonner le marquis[1]… Hélas ! ces reproches vous affligent, monsieur ; mais l’état où je suis ne me permet pas de voiler une atrocité déjà trop connue. J’aurais voulu mourir et que vos frères se fussent sauvés avant l’éclat… Cela est devenu impossible, et l’obligation d’accuser des coupables qui doivent vous être chers est plus affligeante pour moi que la mort même.

Tout le monde pleurait, excepté le marquis. Euphrasie, souffrant des douleurs inouïes, pria le monde de se retirer.

Le lendemain, avant que personne n’eût encore pénétré chez son épouse, Alphonse y vient.

— Madame, lui dit-il, je crains bien que vous ne vous soyez attiré tout cela. Il était encore temps ; vous avez refusé les propositions qu’on vous a faites ; n’emportez pas au tombeau le crime de cet entêtement. Je vais envoyer chercher le notaire ; rétractez la déclaration d’Avignon. — Non, monsieur, je ne le puis, dit fermement la marquise ;

  1. Il faut se rappeler ici les mots qu’elle prononça dans le rêve qu’elle fit la première nuit qu’elle passa à Gange, blessée à cette même épaule où le fer vient d’être enfoncé.