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LA MARQUISE DE GANGE

juges de vouloir bien attendre qu’elle fût chez sa mère à Avignon, pour vaquer comme il convenait à une chose si sérieuse, ce qu’elle ne pouvait faire de sang-froid dans une maison aussi effrayante pour elle. Sa demande lui fut accordée.

Sentant le jour d’après que l’état de faiblesse dans lequel elle était l’empêcherait peut-être de soutenir le voyage, elle voulut s’entourer à ses derniers moments de tout ce qui lui restait de plus cher : elle se fit parer dans son lit que l’on environna de fleurs ; puis, ayant fait asseoir autour d’elle sa mère, son fils, les demoiselles Desprad, deux ou trois personnes qu’elle chérissait le plus dans la ville, et ses domestiques les plus affidés, parmi lesquels ne fut point oubliée la bonne Rose, elle s’exprima dans les termes suivants, avec toute la confiance, toute la force que, pour le désespoir du crime, la vertu conserve toujours :

— Ô ma mère, dit-elle avec componction, me voilà parvenue bien jeune à ce redoutable moment où l’âme, séparée du corps, revole vers son Dieu en laissant ici-bas sa dépouille mortelle. Je croyais ce moment plus effrayant qu’il ne l’est : j’aime à croire qu’il ne paraît doux qu’à ceux qui n’ont point abusé de la vie, et qui, ne la regardant que comme une route d’épreuve que la main du Ciel nous contraint à suivre, ont parcouru pleins d’espérance les écueils dont elle est