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LA MARQUISE DE GANGE

d’une mère privée du doux soin d’une éducation que je n’aurais formée que pour t’éviter les maux qui me font périr. Ne songe jamais à me venger… Eh ! par quelle raison pourrais-je me plaindre, puisqu’on ne m’arrache cette vie terrible que pour passer dans une meilleure ? Emportez de ce château mon portrait, et qu’en le considérant quelquefois tous les deux, vous vous rappeliez, vous, ma mère, une fille qui meurt en vous chérissant ; et toi, mon fils, celle dont tu reçus l’existence et qui perd la sienne en t’idolâtrant.

Tout le monde fondait en larmes ; on n’entendait partout que les sanglots de la douleur et que les cris du désespoir. Il semblait que cet ange, en revolant aux cieux, y conduisît toute la gloire, toute la prospérité du monde, et que ce monde dépourvu de sa plus belle parure dût s’écrouler où cessait de luire l’astre radieux qui l’embellissait.

Cette femme céleste au-dessus de tous les éloges, si digne d’orner une autre terre, quitta celle qui l’avait vue naître trente et un ans après y avoir paru, et près de deux heures après les dernières paroles que nous venons de lui entendre prononcer.

Son corps fut ouvert ; les coups d’épée n’étaient pas mortels ; la seule violence du poison la précipitait au tombeau. Ses entrailles étaient brûlées et le cerveau noirci. Elle fut embaumée et exposée